La randonnée du jour a comme but de nous faire découvrir l’un des plus beaux chemins muletiers jamais parcourus, la Strà di Vacch, ou « la route des vaches », la plaine d’Aleccio, puis un énorme mur dont l’origine reste inconnue, le Muro del Diavolo, ou le mur du diable.
La Strà di Vacch ou « la route des vaches », est un merveilleux chemin pavé, qui offrait une voie de passage pour le bétail venant du Val Antigorio et se dirigeant vers les pâturages très convoités de la Valle Cravariola, appartenant à l’Italie mais située géographiquement du côté de Campo, en Suisse.
Il est utile de rappeler que pendant des siècles, la Valle Cravariola fit l’objet d’un conflit frontalier entre l’Italie et la Suisse. En 1874, suite à un arbitrage par l’Américain George Perkins Marsh, ambassadeur des États-Unis d’Amérique à Rome, la vallée fut attribuée à l’Italie. Cet article sur Wikipedia (en allemand), explique l’histoire mouvementée de ce petit bout de terre.
Le temps, ce matin, est couvert mais il ne pleut pas et pour notre randonnée du jour, nous décidons de nous rendre à Cagiogno, un petit hameau situé sur le territoire de la commune de Premia, à quelques kilomètres de la maison.
Le départ de la randonnée se fait depuis le haut du hameau, à côté d’un ancien lavoir en pierre. À cet endroit, il y a de la place pour trois ou quatre voitures, mais nous avons laissé la nôtre une centaine de mètres plus bas, près de de containers pour le recyclage, à côté d’une maison à l’architecture très étrange.
Le chemin rentre tout de suite dans la forêt.
Il monte assez doucement et nous pouvons nous arrêter pour admirer l’excellent travail de maçonnerie.
Le chemin est dans un état remarquable. Il semblerait que la section qui monte de Cagniogno aux alpages de Boschetto ait été refaite dans les années ’50, à la fin de la deuxième guerre mondiale.
Nous prenons graduellement de la hauteur.
Arrivés sur un faux-plat, nous remarquons qu’ici que le chemin a été surélevé.
Nous pensons que le long de cette section, il y avait des barrières de protection, comme en témoigne la pierre trouée qui émerge du mur à côté de Marie-Catherine.
Toutes ces marches pour permettre aux animaux de franchir plus facilement les pentes raides…
Allez Stefano, tu peux le faire !
Si ce n’est pas un chef-d’œuvre !
On dirait que le chemin a été construit il y a quelques années seulement, alors que cela fait plus de soixante-dix (septante) ans qu’il est là.
Nous arrivons au pied de falaises, dont certaines sont équipées pour l’escalade.
Nous approchons maintenant du seul endroit vraiment exposé du parcours. Des protections ont été ajoutées afin d’éviter les chutes, et plus loin il y a même un mur de protection.
Nous ne saurions dire s’il y a eu un malheur ou si c’est purement votif.
Le fameux mur de protection que nous évoquions il y a quelques instants. Il a peut être été ajouté plus tard comme le laisserait croire la présence de ciment.
C’est plus ou moins à cet endroit que nous croisons une mère de famille avec son fils d’environs 18-20 ans, qui sont à la recherche de champignons. Nous échangeons quelques mots puis continuons sur le dernier bout de chemin pavé.
Il est pratiquement 11h du matin lorsque nous sortons de la forêt et arrivons à l’Alpe Boschetto, à 1200 m d’altitude.
Il y a quatre ou cinq constructions en tout, dont les deux premières ont vu des jours meilleurs.
Nous en profitons pour faire une pause « barre + pipi » avant de reprendre la montée et passer des étables partiellement retapées.
Un drapeau tricolore vert-blanc-rouge nous rappelle que nous sommes bien en Italie.
Nous rentrons à nouveau dans la forêt. Stefano a lu sur un blog que « le chemin muletier continuait un peu plus loin mais est maintenant englouti par la végétation, et à partir de ce point le parcours se transforme en sentier ».
Après quelques centaines de mètres, nous arrivons à l’Alpe Bee. Vous remarquerez que les prés sont fauchés avec soin et que la plupart des bâtiments ont été retapés.
Nous reviendrons un peu plus loin sur la signification de cette plaque ainsi que la fin tragique de ces huit jeunes.
Nous faisons une brève pause à Bee, où pas loin deux femmes sont en pleine discussion. Elles parlent dans la variante locale du Lombard – le « dialetto de l’Ossola » – et Stefano dira plus tard, tout joyeux, qu’il comprenait leurs échanges.
Il est temps de poursuivre notre randonnée et nous rentrons à nouveau dans la forêt.
Un panneau indique la direction pour Aleccio alors qu’il possible de prendre un autre sentier qui mène à priori vers un ancien four à chaux.
Ici, le sentier est plus étroit et parfois un peu aérien, mais ne présente pas de danger particulier.
La traversée du Rio di Alba est protégée par des câbles. Marie-Catherine apprécie la jolie couleur jaune de la pierre ainsi que l’eau transparente.
Le sentier est maintenant presque plat.
Et après quelques centaines de mètres, nous voici à l’Alpe Aloro, le premier d’une longue succession d’alpages que comporte la plaine d’Aleccio.
Ouf, nous ne sommes pas perdus.
À une cinquantaine de mètres du panneau, se trouve un parking où trois voitures sont garées. Étant donné qu’il n’y a pas de route carrossable qui mène à l’Alpe Bee, nous en déduisons que c’est ici que l’on laisse les voitures et que l’on parcourt à pieds les quelques 900 mètres qui séparent les deux alpages.
Un peu plus loin, nous tombons sur des vieilles maisons, la plupart abandonnées, de l’Alpe Curt Pidrin.
Nous faisons un petit tour parmi les ruines. En voyant cette saillie, Stefano ne peut s’empêcher d’imaginer un vieux grand-père installé là, sous la saillie, en train de battre la faux, par une belle fin d’après-midi.
Poursuivant notre boucle en direction d’Aleccio, nous marchons désormais sur une route goudronnée.
Mais notre avancée est tout soudainement stoppée nette. C’est la désalpe et un chien de troupeau s’affaire pour faire avancer les vaches les plus récalcitrantes. Un randonneur est là sur le bord de la route en train de prendre des photos de la scène. Stefano s’approche et commence à lui parler en italien. Repérant rapidement l’accent français et la difficulté à s’exprimer en italien, Stefano passe à la langue de Molière et la discussion devient aussitôt plus fluide. Il se trouve que le monsieur est suisse, du canton Fribourg, et a acheté une maison dans la vallée, en prévision de la retraite. Sa femme est partie à la cueillette de champignon. On l’entend héler son mari afin qu’il vienne voir l’énorme bolet qu’elle a trouvé. Ce sera la fin de notre échange.
Nous partons sur la route dans le sens de la montée afin de nous rendre à Aleccio, que nous rejoignons après un court raidillon qui nous fait néanmoins transpirer.
Pour nous accueillir, cette jolie petite église, inaugurée en 1991 et consacrée au Christ Ressuscité. Juste à côté, il y a une sorte de buvette (fermée) de l’association chargée de préserver Aleccio. De nombreuses tables et des bancs sont à notre disposition et puisqu’il est pratiquement 13h, nous nous arrêterons ici pour la pause-sandwich.
Nous nous approchons de la petite chapelle pour prendre quelques photos, et nous tombons sur une plaque commémorative où nous retrouvons les mêmes huit noms de disparus que nous avions photographiés à Bee. Intrigués, nous avons fait quelques recherches le soir à la maison et avons trouvé une explication de cette tragédie qui a marqué cette région de frontière.
Il s’agit de huit jeunes contrebandiers de la vallée, pris dans une avalanche en janvier 1933 en tentant d’atteindre la Suisse. Tous les jours, de janvier à mai, des volontaires partirent de l’Alpe Bee pour les tenter de les retrouver, mais il fallut attendre la fonte des neiges pour récupérer leurs corps. Ce qu’il y a de triste dans cette histoire, est que l’avalanche les avait surpris à l’aller, marchant vers la Suisse, alors que personne ne portait de charge sur les épaules.
Quoiqu’il en soit, les sentiers empruntés autrefois par les contrebandiers, que l’on appelle aussi « spalloni », car ils portaient de lourdes charges sur leurs épaules (« spalle »), sont toujours là. Voir à ce propos le superbe site de Associazione Sentieri degli Spalloni (uniquement en italien).
La pause terminée, et enfin rassasiés, nous entamons la descente. Il y a bien un sentier qui coupe tout droit et qui permettrait de rejoindre Crego, mais nous optons pour la route car nous avons prévu de passer par le lieu-dit d’Arvenolo pour y découvrir le fameux « mur du diable ».
Le chemin est monotone mais cela nous permet de discuter de choses et d’autres.
Arrivés au lieu-dit Salerà, nous tombons sur cette pierre peinte en orange. C’est marrant. Peut-être quelques pare-chocs cabossés ou phares cassés ont-ils conduit à cette décoration. A moins que ce ne soit qu’un point de repère.
Un peu plus loin, nous empruntons une route d’exploitation pour aller voir un bloc erratique que Stefano avait repéré sur la carte.
Nos recherches ne donnent rien de concret et nous repartons bredouille, ayant bravé néanmoins un ou deux panneaux « Propriété privée » dont semblent très friands les habitants du coin.
Arrivées à Quartine, nous découvrons pour la première fois une mention du Muro del Diavolo sur un panneau.
Quelques mètres plus loin, nous tombons sur ces trois anciennes constructions superbement rénovées. Les italiens savent y faire, comme on dit.
Nous voici devant le « mur du diable ».
On ignore qui l’a construit – certains pensent que ce sont des celtes – ni pour quelle raison, mais en tout cas il est impressionnant. Nous avons trouvé l’explication suivante sur le site Archeocarta : « Les découvertes archéologiques de l’âge du fer et de l’époque romaine témoignent de l’utilisation ancienne du site et la position panoramique suggère un lieu de culte. »
Une légende plus folklorique, raconte que « le Diable tenta de construire un pont reliant les deux versants de la vallée, afin de jeter le sommet de la montagne sur les habitants de Cravegna, trop dévoués au Seigneur. Mais par l’intercession de la Vierge, Saint Martin intervint et, après un duel, força le diable à renoncer à ses intentions. » (source : site de la commune de Crodo).
Le Muro del Diavolo, serait donc la culée du fameux pont que le Diable aurait tenté de construire entre Crodo et Cravegna.
Stefano pose à côté du mur afin de donner une idée de la taille des blocs de pierre. On ignore comment ils ont été transportés et empilés.
Il y a ici une sorte de trou, profond de quelques mètres et soutenu par une poutre en pierre de plus de trois mètres de long. Marie-Catherine y a prudemment rentré la tête afin de vérifier que le diable ne se cache pas à l’intérieur.
Un vieux monsieur quelque peu débraillé vient se servir à la fontaine (celle que l’on voit dans le coin en bas à droite de la photo ci-dessus) et nous entamons la discussion. Il habite la maison qui se trouve juste à côté et a même accueilli il y a plusieurs années des archéologues qui ont procédé à des fouilles. Il semblerait que sous le remblai, il y ait d’autres murs, dont un à priori joliment construit (« molto bello », comme il dit).
Vue depuis le haut du remblai.
Nous suivons la route en direction de Crego. Juste avant le village, nous trouvons la jonction avec le sentier qui mène à Aleccio, mentionné plus haut.
Arrivés au village, au lieu de prendre le sentier officiel qui nous ramène à Cagiogno, Stefano choisit un sentier qui ne paie pas de mine, et qui est aussi censé nous ramener à la même destination.
Nous tombons sur des panneaux artisanaux, qui ont à priori un lien avec le chemin des contrebandiers (« spalloni ») évoqué plus haut.
Les panneaux de signalisation sont eux aussi artisanaux.
C’est la saison des châtaignes : le sol est jonché de bogues.
Stefano se gratte la tête : il doit se dire « dans quelle galère j’ai entraîné ma femme ? ». En effet, les derniers 100-150 mètres du chemin étaient « hors normes ».
Quoi qu’il en soit, nous retrouvons le sentier officiel, une route d’exploitation sous laquelle passe une conduite d’eau.
Cinq minutes plus tard, nous arrivons aux pieds de la cascade du Rio d’Alba, à savoir le ruisseau que nous avons traversé ce matin après avoir quitté Bee.
Je vous rassure, il n’y a pas eu d’allongement des jambes chez Marie-Catherine, c’est la distorsion due au grand-angle.
Oups, nous ne sommes pas rendus, comme on dit.
Encore un « chemin des anciens ».
Puis, ce qui ressemble à un ancien hameau abandonné depuis longtemps.
Ce sera notre dernière photo du jour : des vieux murs et un ancien chemin autrefois sans doute joliment pavé.
Il est pratiquement 17h30 lorsque nous arrivons à la voiture, à Cagiogno. Huit heures de marche pour presque 19 km. Il y a fort à parier que ce soir il y a aura extinction des feux à 21h, chez l’un des deux Swiss Hikers en tout cas…
Itinéraire du jour
C’est ici et c’est chez Suisse Mobile.
Flore du jour
Plutôt un fruit, mais on ne va pas pinailler…
Autoportraits du jour
À la buvette du Consorzio Opere Agrarie Alpe Aleccio, à Aleccio.
À la Cascata del Rio d’Alba.