Chesler Park dans la tempête

En route pour Chesler Park, pris dans une tempête de neige, nous sommes à deux doigts de rebrousser chemin. Lorsque, en moins de 10 minutes, le temps vire miraculeusement au beau. Du coup, nous faisons le tour de Chelser Park par le Joint Trail et nous offrons une petite escapade pour aller voir un superbe panneau de pictogrammes.

Hier, je vous ai raconté un petit bout de l’histoire de Marie Ogden et de sa colonie Home of Truth. En passant devant, je demande à Stefano de s’arrêter. A notre grande surprise le portail est ouvert et un pickup est garé devant la cabane principale. Ce qui ne m’empêche pas de faire une photo du portail.

Il a neigé cette nuit et, vu le froid, la neige est restée accrochée à la route. Inutile de préciser que nous roulons très très prudemment.

Un peu après le ranch, un joli plan d’eau, où barbotent quelques canards.

La piste qui mène au départ du sentier de Elephant Hill est mouillée. Mais aucun panneau n’annonce Impassable when wet. Du coup, nous nous lançons, confiants. Nous avons parcouru cette piste une bonne dizaine de fois mais avions oublié qu’elle était si longue. Le soleil est en train de disparaître et de méchants nuages commencent à faire copain-copain dans le ciel.

Au parking, une seconde voiture, arrivée quelques minutes après nous. Le froid est vif et nous n’hésitons pas une seconde à sortir les doudounes, les gants et ce qui va avec. Le sentier qui part vers Chesler park rentre tout de suite dans le vif du sujet et nous en sommes ravis. Deux ou trois lacets nous amènent devant une volée de marches de pierre. La tête rentrée dans les épaules, nous n’avons qu’un objectif : nous réchauffer.

Voilà Stefano. Avec sa veste collector de la marque GoLite, marque disparue depuis quelques années. Une belle idée au départ qui a cafouillé lorsque les dirigeants ont décidé d’ouvrir des boutiques en plus de la vente en ligne. Quelques millions de dette laissés sur le dos de leurs fournisseurs. Il ne la met que très rarement, encore plus rarement pour randonner. Si je ne me trompe pas, la dernière fois, c’était le jour où il l’a acheté. Nous étions dans le Colorado, en route pour Leadville, avec un petit arrêt à MayFlower. Mon accoutrement est comparable.

Parvenus sur le plateau, nous marchons avec allégresse, les yeux grands ouverts, émerveillés par le paysage. Au loin se profilent les aiguilles de Chesler park et nous frémissons d’anticipation.

L’itinéraire en lui même est très plaisant et très varié. Vu du ciel, les rochers dans lesquels nous évoluons forment un immense capharnaüm et le sentier zigzague entre les blocs de rochers les plus hauts, se faufilant par des canyons étroits, montant puis descendant. Le vent soulève le sable et nous évoquons notre randonnée d’il y a quelques années, ici même, terminée sous la pluie et le vent, alors que nous nous demandions si nous avions suffisamment arrimée la tente, plantée le matin même à Squaw flat. Rencontré au retour sur le parking, un ranger nous avait rassuré. Nous avions passé deux nuits mémorables. C’était d’ailleurs durant ce séjour que nous avions découvert Salt Creek, Tower ruins et Paul Bunyan’s Potty.

Le soleil fait encore quelques apparitions fugaces entre deux giboulées de grésil mêlé à de la neige.

Mais nous gardons espoir. S’il a fait beau ici – en tout cas moins moche qu’à Monticello – la veille de Noël, alors il ne peut pas faire mauvais aujourd’hui.

A chaque fois que nous passons ici, nous ne pouvons nous empêcher de faire une photo. Deux rochers parfaitement parallèles, au milieu desquels passe le sentier.

Le temps se détériore. Les giboulées prennent le dessus sur les éclaircies. Le vent souffle par bourrasques.

Juste avant d’arriver à Chesler Park, sur le petit raidillon final qui grimpe en zigzag, nous nous collons contre un gros rocher, le temps de protéger les sacs et d’enfiler une Gore-Tex. L’abri offert par le rocher est très relatif et n’empêche pas le vent de nous bousculer ni les flocons de neige de nous piquer le visage. Nous avons nos limites et là, elles semblent atteintes. Les rochers vont devenir glissants, le sable instable et le plaisir de marcher va finir par s’estomper. On rentre ? me demande Stefano. D’ordinaire, j’ai de la peine à renoncer, mais là, la sagesse impose un oui de ma part. En sortant de notre abri, Stefano jette un coup d’œil vers le haut et me dit : on monte quand même juste pour voir ? Il a raison. Il reste deux virages pour parvenir entre deux grandes aiguilles qui marquent l’entrée de Chesler Park.

Il neige de plus belle.

Le brouillard n’est pas trop dense et quelques aiguilles sont visibles.

Dont les aiguilles centrales, qui abritent les places de camping où nous nous sommes promis de camper un jour.

Nous faisons demi-tour. Il y a plus d’espoir.

Soudain, un peu de lueur. Le disque solaire apparaît. Instinctivement, nous tournons nos visages, cherchant la chaleur. Un gros nuage passe devant, le cachant brièvement. Il réapparaît bientôt. Une tâche de ciel bleu se matérialise. Puis deux, puis trois. Les nuages se dissolvent à vue d’œil. La lumière revient.

Nous n’en croyons pas nos yeux. 30 minutes après notre repli derrière le gros rocher, voici la couleur du ciel. Vous y croyez, vous ? A l’heure où j’écris ce billet, presque 3 mois après, nous sommes toujours sceptiques et avons du mal à réaliser notre chance.

Nous profitons intensément de l’instant présent car nous n’imaginons pas que ce grand ciel bleu puisse perdurer. Au fond, vers le sud, l’horizon est encore bien sombre. Le vent n’a pas faibli et les quelques nuages esseulés qui flottent dans le ciel filent à toute allure, ceux les plus bas dans un sens, et ceux, plus haut, perpendiculairement aux premiers.

Nos gants sont trempés, les shorts aussi. Stefano joue les lézards en mode « je me réchauffe ».

Le beau temps nous ramène à l’itinéraire prévu au départ. A savoir rejoindre le Joint Trail trailhead et rentrer en contournant Chesler park, par l’est. Nous revenons donc à l’entrée de Chesler Park pour attraper le sentier.

Nous avons la surprise de dépasser à nouveau les deux randonneurs partis un peu avant nous, ce matin. Ils se sont entêtés, eux aussi, malgré la taille de leur sac à dos et leurs chaussures assez peu adaptées à la randonnée. Connaissance des lieux et de leurs limites ou inconscience, nous leur laissons le bénéfice du doute.

Le sable est déjà presque sec. Les plaques de neige qui subsistaient ont disparu. Le ciel bleu se maintient tandis que l’horizon se dégage.

Mais nos vieux os ne sont toujours pas réchauffés.

Le tracé de ce sentier est un vrai bonheur. Il varie entre slick rock et sable, alternant en proportion parfaite des zones planes et des grimpettes-descentes où un minimum d’agilité est nécessaire. Il se fraie un chemin entre ces blocs de rochers arrondis, si caractéristiques du lieu. Vu du ciel, ces rochers arrondis ressemblent à un paquet gigantesque de nonettes Chamonix, parfois bien alignées, parfois décalées. 47 g de sucre aux 100 grammes, je comprends pourquoi mes parents nous les distribuaient avec parcimonie. Seule la couleur orange est remplacée par du gris virant au rouge, avec toutes les teintes intermédiaires.

Nous arrivons sur la piste, la Devils lane. C’est là que  commence – ou finit pour nous – le Joint Trail.

Nous laissons la Devil’s lane partir sur notre droite, marchant toujours sur une piste. Elle s’arrête brusquement, dessinant une large boucle pour faciliter le demi-tour des jeeps. L’endroit est un peu aménagé et doté d’une table de bois montée sur une structure métallique où sont accrochés deux bancs. J’ai aussi de vagues souvenirs d’un auvent, pour protéger du soleil. Peut-être que je me trompe. Le sentier lui continue, le fameux Joint Trail, et va déboucher, après un passage entre les rochers, tout au sud et à l’est de Chesler Park.

Stefano regarde sa montre. 13h. Nous avons une petite escapade prévue avant de prendre le chemin du retour. Un rapide calcul nous laisse 1 heure aller retour pour aller chercher un panneau, quelque part dans un canyon adjacent. Des coordonnées GPS attrapées par hasard dans la méta-data d’une photo.

Nous partons d’un pas rapide, en suivant un wash, coupant les sinuosités du lit lorsque nous le pouvons. Très vite, nous réalisons que nous sommes sur un faint trail, où quelques traces de semelles de chaussure marquent le sol.

Nous atteignons la zone indiquée par le point. Au premier abord, rien. Nous nous obstinons, partant chacun de notre côté pour doubler les chances. L’heure tourne. Nous savons que nous devrons bientôt renoncer si nous voulons rentrer à la voiture avant la nuit. Stefano m’appelle. Il a trouvé le panneau, un peu en retrait du wash.

Il y a d’abord quelques mains.

Puis une silhouette anthropomorphique délavée.

Puis le panneau lui-même, magnifiquement coupé en deux par l’ombre et la lumière.

Nous sommes presque certains que ce panneau mêle deux époques. Les formes pleines, rudimentaires, faites d’un trait malhabile. Et puis ces mains, délicatement marquées, et enfin cette silhouette au contour et la houppe blanche.

Il nous faudrait 30 minutes de plus pour laisser le temps au soleil de chasser l’ombre. 30 minutes que nous n’avons pas. Nous sommes déjà en retard sur l’horaire prévu. Nous tentons de faire de l’ombre avec nos vestes. Elles ne sont pas assez grandes et le vent, toujours présent, les soulève et les fait danser. Me vient l’idée d’utiliser une couverture de survie. Je sors la mienne du sac et commence à la déplier. Je me rends compte alors qu’elle est complètement inutilisable. Certains des plis restent collés entre eux, tandis que les deux couches qui la composent se détachent l’une de l’autre. J’en fais une grosse boule que je remets dans le sac, prenant soin de ne laisser échapper aucun fragment. Je tire une bonne leçon de l’expérience. Depuis des années, nous trimbalons, l’esprit tranquille, nos couvertures de survie, faisant partie des 10 essentiels qui composent notre fond de sac. Dieu merci, nous n’en n’avons jamais eu besoin car sinon, la déconvenue aurait été de taille. Je me promets d’en acheter deux demain, à Moab et surtout de les vérifier et les changer régulièrement.

Au moment de partir, il ne reste plus que la tête à l’ombre. Et la houppette !

Le retour à l’aire de repos se fait au pas de course.

Et bientôt nous voici sur le sentier officiel, le fameux Joint Trail, qui va nous permettre de rejoindre Chesler Park. Le sentier monte d’un niveau, puis de deux, avant de se glisser l’interstice laissé par deux blocs de rocher. A l’arrivée dans la grotte, nous sommes déçus car presque tous les cairns ont disparu. Vient ensuite un long passage étroit, tout droit, entre deux murs hauts de 5 à 6 mètres.

Les ombres ont déjà envahi Chesler Park lorsque nous y arrivons.

Lorsque nous passons près des emplacements de camping, nous avons une pensée pour nos amis, les p’tits loups, qui y ont passé au moins une nuit. Cet endroit est magique et ce sera notre tour, un jour. Je nous imagine assis, adossés à la paroi, nous tenant la main en regardant le soleil se coucher, un feu de camp allumé.

Les aiguilles de Needles dans la lumière du soir.

Nous revoici non loin de nos traces de ce matin, près à laisser derrière nous cet endroit magique.

C’est fait. Nous repassons devant notre abri de fortune. Est-ce vraiment ce matin que battus par le mauvais temps nous avons failli renoncer ? Difficile à croire, non ?

Stefano a enclenché le rythme des hikers qui souhaitent rentrer avant la pénombre. Ce qui a pour effet de réduire un peu notre conversation. Le terrain nécessite un minimum de concentration. Le seul passage assez technique, où ce matin nous avions dépassé nos deux randonneurs, nous rappelle une rencontre faite il y a quelques années avec un vieux monsieur, si vieux qui nous l’avions attendu à cet endroit, un peu inquiets, prêts à l’aider. Evidemment, il s’était très bien débrouillé sans nous.

17h03. Nous y sommes presque. Ce « sous-marin » est une des premières formations rocheuses distinctives au sortir du parking.

Au parking justement, nous sommes seuls. Nos yeux brillent de bonheur alors que nous rangeons nos affaires dans la voiture. Nous commentons avec enthousiasme l’expérience de la journée et les sensations ressenties. Cette journée a été un peu comme un roller coaster.

Arrive une voiture avec une tente de toit. Nous la voyons s’arrêter à proximité d’un panneau représentant une tente barrée. Un couple sort du véhicule et s’affaire à déplier la tente. Nous rigolons intérieurement. Il y a fort à parier que le/la ranger n’a pas encore fait sa ronde. Ils risquent une mauvaise surprise. Sur la piste, à mi-chemin, nous croisons justement le pickup de la ranger. Nous échangeons un signe de main et imaginons déjà la mine déconfite des campeurs lorsqu’ils vont la voir arriver et qu’elle va les faire déguerpir.

Comme hier, il fait nuit noire et nous roulons prudemment, tous les sens en éveil. A deux reprises, nous ralentissons brutalement, des bichettes paissant sur le bord de la route. D’ici à ce que l’une d’elle ait des pensées suicidaires… Allez savoir.

Sans surprise, nous dînons au Subway du Conoco. Je distribue à chaque employé un billet de 5 dollars tout neuf, en leur souhaitant un joyeux Noël. Le gamin qui balayait la cuisine observe son billet religieusement, un sourire béat aux lèvres.

Demain, nous quittons Monticello pour Moab. Nous n’avons qu’un seul regret : ne pas avoir pu camper à Needles comme nous le souhaitions, faute au mauvais temps.

Autoportraits du jour

Bon, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne fait pas beau.

Le soleil est revenu !

Chesler Park, sur le chemin du retour. Un autoportrait par la force des choses !

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À propos de Marie-Catherine

Randonneuse, blogueuse et photographe amateur chez Two Swiss Hikers.

En phase de préparation de voyage, je m'occupe du choix voire de l'achat du matos et organise les bagages. Ma principale activité consiste à me réjouir des vacances qui arrivent ! Je deviens plus active au retour : il faut trier les photos (et des photos, il y en a...) et rédiger les billets de ce blog.

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