Enthousiasmés par nos récentes vacances au val Bedretto, nous profitons du weekend du 1er août pour y revenir. Mais cette fois, nous y campons, pour plus de fun. La balade du jour nous emmène au lago del Sabbione, au-delà du col du Griess et du refuge Città di Busto. Le froid et les nuages règnent mais rien ne peut gâcher ces paysages somptueux.
Nous avons tellement aimé les paysages du Val Bedretto, et particulièrement le lac en contrebas du glacier Chüoboden que nous avons décidé d’y revenir pour le weekend du 1er août, fête nationale suisse. Après avoir essayé vainement de louer un van, la seule option qui nous restait en fonction des disponibilités de l’offre locale était une nuit à All’Acqua, à l’hôtel restaurant et deux nuits sous tente. Oui, oui, vous avez bien lu : sous tente. Ce fut même Stefano qui en émit le premier la perspective. Puis il la réitéra quelques jours plus tard. Ce n’était donc pas une idée jetée en l’air. Nous savions exactement où nous allions nous installer, à condition bien sûr que le spot soit libre. Quelques jours avant le départ, nous montions la tente dans le jardin, histoire de nous remémorer les instructions de montage et surtout vérifier son état, après quelques années passées dans une caisse, à la cave.
Nous voici vendredi, jour du départ. Nous chargeons la voiture de 40 litres d’eau potables répartis en 4 bidons et de notre maison de toile. Nous partons sous la pluie qui peine à rafraîchir l’atmosphère, encore étouffante des jours sans fin de canicule. A Ulrichen, village à la jonction de la route qui part vers le col du Nufenen d’un côté et le col de la Furka de l’autre, la plaine a été transformée en un immense campement accueillant plus de 35’000 scouts à l’occasion du Camp fédéral 2022 du Mouvement Scout de Suisse. Ça et là émergent des tours faites de troncs d’arbre dressés, agrémentées de drapeaux aux couleurs des diverses sections. Il y pleut des cordes.
La montée au col du Nufenen se fait dans les nuages. Nous arrivons à All’Acqua aux alentours de 19h30 et prenons possession de notre chambre constituée de 2 lits simples et d’une armoire. Toilettes et salle de bain sont communes à toutes les chambres de l’étage.
Nous avions prévu de pousser jusqu’à Airolo pour déguster une pizza mais le temps maussade nous rend raisonnables : nous dînerons ici et notre choix s’avère être le bon. Les trois gars qui tiennent l’hôtel sont des siciliens, aux petits soins pour leurs clients. Nous nous repaissons (ouf, il est bizarre ce verbe) d’un tartare de boeuf généreux arrosé d’une bière. Nous sortons un moment faire le tour du hameau, constitué de 2 maisons et de l’auberge. Autant dire que nous rentrons vite, afin de (re)prendre des forces pour la journée de demain.
Le réveil sonne à 6h15. Le restaurant n’ouvrant qu’à 8 heures, nous organisons le petit-déjeuner dans la chambre, avec des bols gracieusement prêtés. A 7h15 nous sommes dehors et filons en direction du col du Nufenen. Avant que ne commence la montée finale, nous nous enfilons sur une petite route gravillonnée à la recherche d’un emplacement adéquat pour notre campement. Nous optons pour une petite surface plane, suffisamment spacieuse pour accueillir notre château et la voiture. Un petit ru coule à moins de 5 mètres. Que demander de plus ? La tente est montée en quelques minutes seulement. Team work ! Nous nous bonifions d’année en année. En plus des sardines, nous l’arrimons avec les 4 bidons de 10 litres d’eau, un à chaque coin. Satisfaits, que dis-je, euphoriques, nous partons pour la balade du jour.
Alors oui, il y a pas mal de lignes électriques. Car ce coin-ci du Tessin a été très tôt aménagé pour récupérer l’énergie hydroélectrique. Nous serons contents cet hiver, si on en croit les médias. Il n’en reste pas moins que c’est notre petit coin de paradis de ces prochains jours.
Le point de départ de la balade du jour est incertain. La première option est de passer le col du Nufenen, de négocier quelques virages avant de nous arrêter au départ d’une route permettant l’entretien des éoliennes. Sauf que cette route/sentier est annoncée fermée sur le site de Suisse Mobile. La seconde option est de perdre plus de 400 mètres de dénivelé pour trouver un sentier qui nous permette de rejoindre les éoliennes. Des barrières rouges et blanches barrent effectivement la route, ornées d’un panneau rond, au centre blanc bordé de rouge. Autrement dit, passage interdit. Et pour que personne n’ait de doute, une rangée de panneaux, tous ronds bordés de rouges, vient compléter le message : un piéton barré, un vélo barré et enfin une voiture barrée. Même si nous voyons deux vélos ayant bravé l’interdit, bons Suisses, nous rebroussons chemin. La petite route qui nous permet d’accéder au départ du sentier de la seconde option est elle-aussi affublée d’une interdiction de circuler, mais si vieille et décolorée que nous aurons l’excuse, le cas échéant, de l’avoir confondue avec un panneau de bienvenue.
Nous avons un moment de doute car des vaches ne sont pas loin, annoncées par leur sonnaille. Idéalement, il aurait fallu tirer un fil autour de la voiture pour éviter qu’elles ne viennent se gratter contre les rétroviseurs et lacérer la carrosserie avec leur cloche. Mais la voiture est garée sur du goudron et… nous sommes prêts. Advienne que pourra !
La première étape consiste simplement à reprendre les 400 mètres volés par la route fermée. Autrement dit, monter jusqu’au pied des éoliennes.
Stefano, bon prince m’offre 10 mètres de plat. De quoi chauffer généreusement les mollets et les cuissots, mettre en route le cœur et les poumons.
La voiture est en bas, pas loin du bulldozer jaune. Au fond, le sentier qui monte vers le Distelsee, ce joli petit lac alpin que nous avons découvert tout récemment, lors du premier jour de nos vacances au Tessin, mi-juin de cette année (voir le billet Distelsee, un petit lac alpin).
Nous marchons sur l’ancienne route du Sbrinz, le Sbrinz étant le fromage star des exportations vers la fin du Moyen-Age. Par endroit, le sentier laisse apparaître encore quelques pierres alignées, en guise de pavés.
Monsieur Météo nous avait promis un ciel bleu sans nuage mais une fois de plus il s’est gaussé de nous. Nous sommes arrivés aux éoliennes et avons une vue plongeante sur le Griessee et son barrage. Au fond, le glacier du Gries.
Glacier que voilà.
Le vent souffle par bourrasque. Nous avons l’impression d’avoir ouvert la porte d’un congélateur. Nos mains se crispent sur les bâtons, les doigts rougis et engourdis par le froid. Nos tee-shirts, trempés de la rude montée, collent à la peau, en ayant pris soin, au préalable, de s’imprégner du froid ambiant. Diable. Si j’ai apprécié les premières minutes, en tel contraste avec les semaines éprouvantes de canicule que nous venons de vivre, je regrette néanmoins cette amplitude thermique démesurée.
Nous faisons une mini-pause à l’abri d’un bâtiment surplombant le Griessee. Les deux vététistes aperçus sur la route fermée nous rejoignent. Une fille et un garçon et, étonnamment, la fille semble beaucoup plus à l’aise que lui sur son vélo. Elle se lance d’ailleurs la première sur le sentier qui suit le flanc de la montagne.
Nous partons vers le col du Gries et retrouvons la jonction qui mène à la cabane Corno-Gries (voir le billet Griessee et la cabane Corno Gries). Après, nous sommes en terre inconnue. D’autant plus inconnue que nous quittons la Suisse pour l’Italie.
Arrivés au col du Gries, le sentier descend abruptement. Le paysage est minéral. Le sens des strates témoigne des pressions gigantesques qu’elles ont subies. Nos deux cyclistes nous rejoignent. Elle, sourire aux lèvres, descend sur son vélo, visiblement très à l’aise. Lui, loin derrière, est à pied, retenant difficilement le vélo dans la descente. J’aime !
Le sentier descend parallèlement au rio del Gries. Lorsque les deux se rejoignent, le torrent sort à peine d’une gorge étroite.
Devant nous, une vaste plaine alluviale, la valle del Gries.
Me voici sur le sentier, tenant d’une main mes bâtons tandis que l’autre main se pelotonne sous la manche, à la recherche d’un peu de chaleur. L’autre main aura droit au même traitement, en alternance.
Parvenus au niveau de l’alpe Bättelmatt, un sentier monte vers un refuge, le rifugio Città di Busto. Le bétail est très occupé à brouter l’herbe, encore un tant soit peu verte. Au centre de la photo ci-dessous, le col du Gries, d’où nous venons.
Le chalet de l’alpe Bättelmatt.
Nous retrouvons cette roche blanchâtre et friable, rencontrée lors de notre balade aux abords du lago Tremorgio.
A l’arrivée au refuge, un petit autel dressé au bord du chemin est consacré à La Madonna dell’Aiuto. Il suffirait d’ajouter une pierre devant sa représentation en formulant un voeu pour qu’il s’accomplisse. Nous laissons ça à ceux qui ont réellement besoin d’aide.
Les panneaux italiens, qui conservent les mêmes couleurs, du rouge et du blanc, que les sentiers de randonnée de montagne.
Le Piano dei Camosci (camoscio=chamois) est effectivement une vaste étendue sablonneuse qui ressemble presque à une piste d’atterrissage. Il ne lui manque plus qu’une manche à vent. La surface est parfaitement plane. Au centre gauche, le rifugio Città di Busto.
Le plateau se termine et le sentier prend soudain de l’altitude. Il se fait étroit et s’accroche sur le flanc de la montagne, parallèlement à la crête. Les deux vététistes soulèvent leur vélo et les calent sur les épaules pour négocier la première centaine de mètres, impraticable sur deux roues. Elle est toujours devant.
Sur notre gauche, la vallée où coule le rio del Sabbione. En suivant la crête où se perd le sentier, on aperçoit le rifugio Città di Busto.
Devant, le barrage du lago del Sabbione.
L’heure a filé beaucoup plus vite que prévu. A moins que ce soit notre rythme, qui, pas très rapide, ait laissé filer le temps. Le tracé du retour est incertain : revenir sur nos pas, descendre vers le lago di Morasco, suivre le rio del Morasco un moment pour remonter au rifugio Città di Busto ? Bah, nous verrons bien, me dit Stefano. D’abord, mangeons.
Arrivée d’eau d’une conduite forcée.
Nous traversons le barrage. Je tiens mon chapeau d’une main, car le vent souffle en bourrasques violentes.
La partie abritée du vent du bâtiment qui s’occupe de gérer le barrage a été prise d’assaut par d’autres randonneurs qui, comme nous, sont à la recherche d’un peu de chaleur. D’autres constructions sont agglutinées à proximité et nous trouvons finalement un petit coin sympa, loin d’autres petits coins utilisés pour des besoins naturels.
Après moult réflexions et consultations de carte, Stefano me dit que nous pouvons revenir à l’alpe Bättelmatt par le sentier qui suit le rio del Sabbionne par le sud, avant de le traverser en contrebas du rifugio Città di Busto pour arriver sur le sentier qui descend vers le lago Morasco.
Le terrain est très accidenté et la pente extrêmement raide.
Le faire dans l’autre sens, dans le sens de la montée, doit être une « expérience inoubliable ».
Alors que nous avons presque atteint le sentier qui file vers le lac, nous croisons deux couples. L’un des garçons demande à Stefano de lui confirmer la direction du sentier. Stefano lui répond et lui demande : vous êtes déjà passé par là ? Il secoue la tête. Stefano ajoute, un sourire en coin : vous allez adorer !!!!
La remontée vers l‘alpe Bättelmatt est relativement douce et permet de remettre les jambes en route.
Ce vaste plateau nous rappelle certains paysages de Norvège, là où poussent les délicieuses mûres arctiques.
Je regarde avec appréhension la montée vers le passo del Gries. Les deux cours de BodyPump de la semaine ont laissé quelques traces sur mes quadriceps. Je communique mon inquiétude à Stefano qui me répond avec légèreté : ce n’est pas toi qui dis que tout est une question de temps ?
Effectivement, un pas après l’autre. Chacun d’entre eux nous rapproche du sommet. Nous voici déjà à mi-hauteur. Le lago Morasco n’est plus qu’un petit point turquoise.
Traversée d’un des bras du rio del Gries.
Arrivés au col, nous remarquons un minuscule refuge surmonté d’une croix. Nous nous approchons. Un drame s’est joué ici, il y a plus de 60 ans, le 29 décembre 1953. Un groupe de jeunes scouts, partis de Riale par une belle journée, se sont retrouvés coincés ici. Trois d’entre eux périrent.
Ce refuge fut construit pour éviter qu’un tel drame se reproduise. Il fait également office de chapelle, à la mémoire des trois jeunes garçons. Gueules d’ange, trop vite arrachées à la vie.
Cette tragédie fit la une des journaux, de même que le procès qui s’en suivit. Grâce à ce refuge, leur mémoire reste vivante et rappelle aux randonneurs que la montagne, si belle, peut se transformer en sorcière et avaler des vies en une simple bouchée.
Vue depuis la chapelle. Le 29 décembre, la pente était trop gelée pour pouvoir négocier la descente.
Je profite d’un rayon de soleil pour me réchauffer. Le plus dur est derrière moi, j’ai l’esprit tranquille.
Le retour vers les éoliennes se fait tête baissée, épaules rentrées, pour tenter d’offrir le moins de prise possible au vent. Nous espérons que plus bas, dans la vallée, là où nous avons planté la tente, il soit moins agressif. Nous n’avons pas trop de doute quant au fait de retrouver notre maison de toile à l’endroit où nous l’avons laissée, grâce au 4 x 10 litres d’eau laissés aux 4 coins. Par contre, dans quel état sera-t-elle ? Nous imaginons, un peu pour conjurer le sort, les pans de tissus déchirés, flottant au vent.
Le Griessee, dans toute sa splendeur.
Les lacets de la route du col du Nufenen, si prisés par les motards et autres conducteurs de voitures sportives. La route permettant l’accès aux éoliennes, pour la maintenance, est celle qui lacère la montagne à droite. Nous voyons qu’effectivement un pierrier s’est laissé aller et a déversé quelques cailloux sur la route. Pas de quoi en faire un fromage, quand même !
La dernière descente vers la voiture est une anecdote. Une voiture s’est collée à la nôtre et deux vans se sont installés pour la nuit, tentes d’appoint déployées.
Le soleil, plus présent, vient réchauffer le rocher sur lequel nous nous sommes installés pour ôter nos chaussures et enlever la crème solaire à l’aide de lingettes de bébé. C’est ce que nous appelons la « douche du pauvre ». De bonnes odeurs de grillade s’échappent du campement voisin. L’équipement utilisé témoigne d’une certaine habitude et d’une belle organisation.
Nous reprenons la route, passons le col et descendons les six ou sept lacets qui nous séparent de notre campement. La tente est là et n’a pas bougé.
Le vent est bien présent également et malmène le tissu léger. Hum, la nuit promet d’être animée. Nous plaçons le réchaud à l’abri de l’auvent. Au menu ce soir, du riz et poulet au curry. Il ne faut que 8 minutes au mélange pour se réhydrater. Je tremble de froid, malgré la doudoune et la Gore-Tex. Nous rentrons manger dans la tente. Le mélange est excellent. L’essayer c’est l’adopter. Les dents brossées, je m’enfile dans le sac de couchage à la rechercher de chaleur. Stefano ne tarde pas à me rejoindre. Le vent fait claquer la toile. Nous nous laissons doucement emporter par le sommeil…
Itinéraire du jour
C’est ici et c’est chez Suisse Mobile.
Flore du jour
Autoportraits du jour
Sur le diga del lago del Sabbionne.
A l’alpe Bättelmatt. Nos pieds ont … disparu.
En surplomb du Griessee.
Un peu plus loin, à la cabane où nous nous sommes abrités à l’aller.