Capanna Alzasca

Le sentier qui mène au Lago d’Alzasca depuis Someo par l’Alpe Soladino s’accroche à la montagne, enjambe des torrents et traverse de jolis alpages aux vieilles maisons de pierre. Sur les 2300 mètres de dénivelé positif, 80% se grimpent par marches. Nous passons un très bon moment à la cabane. Le lac ne nous laissera pas un souvenir impérissable.

Pour terminer nos vacances en beauté, Stefano choisit de nous faire découvrir le Lago d’Alzasca, sis non loin de la cabane du même nom.

Pour la première fois, nous partons en aval du fleuve Maggia, vers Someo. Là, Stefano quitte la route principale et nous nous garons sur le parking d’un terrain de foot, à une centaine de mètres du lit de la rivière.

Nous commençons par traverser un bois, qui longe la rivière, afin d’attendre la passerelle qui nous permettra de la traverser. Une partie de la plaine alluviale du fleuve Maggia, entre Avegno et Bignasco, fait partie d’une zone protégée depuis 2010.

Nous voici au départ de la passerelle. Suspendue, au départ de laquelle, un panneau stipule qu’il est interdit de faire des mouvements afin de la faire se balancer.

380 mètres de long. Le simple fait de marcher provoque une oscillation latérale. Elle retrouve un peu de stabilité au passage des pylônes où les câbles sont fixés. Après 200 mètres, j’ai mon estomac qui me fait savoir qu’il n’aime pas du tout. Tout comme il déteste le bateau des pirates des fêtes foraines.

A l’arrivée, des panneaux jaunes et une indication : Capanna Alzasca, 4h10. Comme à l’accoutumée, je rajoute une heure et le tour est joué. Mon reste à faire est clair et défini.

Nous n’avons fait que passer de l’autre côté de la rivière mais sommes toujours dans la zone protégée.

La marche d’approche jusqu’au départ du sentier dure encore une bonne trentaine de minutes. Le terrain est plat et varié, et nous marchons d’un pas vif. Autant chauffer la bête au plus vite.

Un petit oratoire semble donner le signal de la première montée. Les choses sérieuses commencent.

Et le démarrage ne se fait pas dans la dentelle. Preuve est faite avec cette belle volée de marches.

En contrebas, la plaine et la rivière Maggia.

Tout doucement, via un sentier bien marqué, dont les sections les plus escarpées sont constituées de marches, nous nous élevons au-dessus du fleuve. L’effort n’est pas énorme, et nous sommes plutôt à l’aise. Il faut dire que nous commençons à être bien entraînés.

C’est alors que Stefano s’arrête net. Le sentier, après une longue ligne droite, semble se jeter dans le vide. Je vois ses mains qui s’agitent, ses doigts qui se plient et se déplient. Le signe qu’il n’est pas à l’aise. Le virage, à 90 degrés, est sec et exposé, sur une sente étroite. Nous tergiversons et délibérons un long moment, assis sur le bord du chemin. Nous parlons même de rebrousser chemin. Un peu la mort dans l’âme mais quand il faut il faut. Mais avant de décider, je propose à Stefano de passer devant avec pour consigne qu’il ne se focalise que sur mes pieds, sans regarder ailleurs. Il me fait promettre dix fois au moins de ne pas aller trop vite, de ne pas m’approcher du bord, de ne pas trébucher, de ne pas… que sais-je encore. Je promets et nous nous mettons en route. Et ça marche !

Nous arrivons à un pont.

Dessous, un affluent de la rivière Maggia, qui n’est autre que le ri d’Alzasca.

Quelques mètres plus loin, une voie royale.

Nous sommes bouche-bée devant le travail titanesque accompli. Il pouvait en passer des vaches, même deux de front !

Ici, la voie royale s’est quelque peu rétrécie mais n’empêche. Chaque pierre pèse son pesant de… pierre et nous imaginons les dos courbés en train de les ajuster, après les avoir hissées jusqu’ici.

Une capelóna, posée sur le passage du sentier.

Nous y soufflons quelques minutes. Nous sommes euphoriques d’avoir trouvé une solution pour les passages délicats. Nous échangeons quelques sensations. Ce n’est pas facile, certes, mais l’effort est récompensé à chaque mètre franchi. Surtout, nous n’oublions pas que nous marchons ici par plaisir, et non pas pour survivre, comme c’était le cas lorsque ces sentiers ont été construits.

Les marches reprennent de plus belle.

Nous avons un moment d’incertitude lorsque nous arrivons en bas d’une paroi lisse et que nous voyons ce qui nous semble être le chemin monter dans les feuilles mortes et les branches cassées. Fausse alerte. La sente vire à 90 degrés et se faufile entre deux parois.

Au sommet, un oratoire. Un de plus. Sur la courbe de niveau indiquant 1’000 mètres. La rivière Maggia, elle, coule environ 650 mètres plus bas.

Une autre voie royale, présageant peut-être un pâturage et du répit pour nos jambes.

Effectivement, au sortir de la forêt, un pâturage et quelques maisons. Nous sommes à l’Alpe Soladino.

Des ânes viennent chercher quelques caresses. Près d’une slack line que je m’empresse de franchir lorsque le second arrive.

Les chèvres, elles, restent distantes, voire dédaigneuses.

L’Alpe Soladino a deux vocations : la première, élever du bétail, fabriquer du fromage et faire pousser des légumes dans un potager. La seconde, louer des « rustici« , des refuges, à des vacanciers, voire des sociétés. La structure permet de loger 25 personnes et met à disposition une cuisine, un four à pizza et un barbecue. Les repas peuvent même être préparé sur demande. Un coin idéal pour une mise au vert ou une journée de team-building. Déjà, arriver ici est un challenge, le seul moyen étant le sentier d’où nous venons.

Après un court passage dans la forêt où le sentier qui monte face à la pente dans la caillasse, les racines et la boue séchée nous fait regretter les marches de pierre, nous arrivons à l’Alpe di Rotonda. Les étables ont toutes été restaurées. Un père et son enfant sont d’ailleurs en plein travail. Des suisses-allemands. Comme beaucoup des propriétaires de maisons aux alentours. Les Tessinois ont beau râler, se plaindre de se faire « envahir » par les suisses-allemands, heureusement qu’ils sont là, pour racheter, retaper et restaurer ces maisons.

Nous sommes maintenant à environ 1’400 mètres d’altitude. Nous marchons dans la forêt, à flanc de montagne. Nous suivons la crête qui relie la Scima di Müzz et le Pizzo d’Alzasca, 600 mètres plus haut. Le gros de la montée semble être fini. Nous avons un peu accéléré le pas histoire de nous ménager un peu de temps à la cabane ou au bord du lac avant la descente.

Nous traversons un torrent, la Vall Farinèla et arrivons sur un pâturage : Corte di Fundo. Nous nous offrons une petite pause, confortablement assis sur un de ces gros rochers.

La pente s’accentue. La cabane n’est pas loin mais il faut la mériter. Le « pas loin » est en fait plus d’un kilomètre avec une prise d’altitude de 200 mètres. Rien, me direz-vous, mais je ne peux m’empêcher de penser que je suis en passe d’atteindre mes limites physiques. Mais, fatigués ou pas, nous apprécions le paysage qui nous entoure. Un peu moins le bruit des pales de l’hélicoptère qui passe et repasse au dessus de nous. Nous le pardonnons les deux premières fois, imaginant qu’il amène à la cabane les jus de pommes ou les Rivella que nous allons bientôt boire, mais au bout de la sixième fois, notre gratitude s’effrite.

Lorsque nous arrivons (enfin) à la cabane, nous sommes accueillis par un charmant couple. Elle parle le dialecte local, pour le plus grand bonheur de Stefano. Je souffle à Stefano que si nous nous arrêtons, je ne suis pas certaine de pouvoir repartir. C’est que le lac, qui est quand même notre objectif de la journée, est encore un peu plus loin et un peu plus haut. Nous leur commandons donc des boissons, qu’ils mettent au frais dans la fontaine. Au passage nous apprenons que les hélicos transportent des hommes et du matériel pour un camp de plongée. Au lac justement. Nous repartons.

Devant nous, une pente. Aucun indice quant à l’emplacement du lac. Est-il derrière cette côte, plus loin, plus haut ? Je demande par deux fois à Stefano de voir la carte. Mon moral d’un coup descend dans les chaussettes. Je laisse les larmes couler une minute ou deux et me reprends. Quand j’écrivais avoir atteint mes limites physiques, je ne pensais pas être si près de la vérité.

Mais il s’avère que j’avais simplement oublié notre devise de toujours : tout est une question de temps.

Ma première pensée est : chic, nous y sommes. La seconde qui arrive instantanément derrière est : ça ne va pas être facile. Le lac est à contre-jour et il nous faudrait aller de l’autre côté pour avoir le soleil dans le dos. Mais c’est justement l’endroit choisi par les plongeurs pour monter leur camp.

Nous n’avons pas vraiment envie d’aller nous mélanger.

Donc nous prenons un peu de recul, histoire de voir si nous arrivons à avoir un meilleur point de vue avec une meilleure lumière.

Bof bof. Mangeons, me dit Stefano. Mais quelle bonne idée. Nous revenons là où le sentier rejoint le bord du lac et trouvons quelques rochers accueillants.

Stefano m’encourage à faire trempette. Un coup d’œil à droite, un second à gauche et hop, me voici dans l’eau. Je n’y reste pas plus longtemps que les autres jours, c’est à dire quelques minutes. Je me rhabille à la va-vite car un randonneur solitaire arrive. Il porte un joli t-shirt Icebreaker bleu, avec le dessin d’une montagne. Reconnaissable entre mille.

Arrive alors une horde de randonneurs. Quatre ou cinq couples de suisse-allemands qui, à quelques mètres de nous, décide de se baigner. Ça gesticule, ça crie, ça grogne tant et si bien que, nos sandwichs avalés, nous déguerpissons.

Et voici la capanna Alzasca. Le point bleu assis à table est notre randonneur de tout à l’heure.

Point bleu qui s’avère être, en fait, le gardien de la cabane, parti en balade.

Nos boissons sont fraîches. Le couple de tout à l’heure vient nous raconter des anecdotes. Le dialecte qu’elle parle avec Stefano est opaque. Ce sont des successions de euuuuuuuuuuh, ouuuuuuuuuuuuuuuh et èèèèèèèèèèèèèèèèèèèh agréables à entendre, certes, mais incompréhensibles. Apprenant que nous parlons français, elle bascule en français. Un français scolaire parlé avec aisance et fluidité. Son ami la rejoint et ils nous racontent des bribes de leur voyage en France. Le gardien, de langue maternelle suisse-allemand, est lui aussi très à l’aise avec la langue de Molière.

Ces gens sont charmants. Avec un grand C. Nous passons un moment fort agréable, qui se termine abruptement lorsque notre groupe de randonneurs-baigneurs arrive. Avant de nous éclipser, nous demandons au gardien si le sentier alternatif qui nous permettrait de faire une boucle, est plus exposé que celui que nous avons pris à l’aller. Il n’en sait rien. Il compte l’emprunter demain pour la première fois, pour redescendre. L’ami de la dame nous conseille de l’essayer, le trouvant plus facile que l’autre.

Nous choisissons de lui faire confiance et tentons le coup.

C’est parti !

A l’aller, nous avions gardé le ri d’Alzasca sur notre gauche, en restant à bonne hauteur. Nous le traversons peu après avoir quitté la cabane et marchons un long moment au dessus de 1’600 mètres entre forêt et pâturage boisé.

Et puis, d’un coup, la pente s’accentue. Ici, point de marche. Le sentier est peu fréquenté et la qualité du terrain s’en ressent.

Corte di Fondo, alpage où nous sommes passés à l’aller, juste avant d’arriver à la cabane.

Après 500 mètres descendus en moins de deux kilomètres, nous arrivons à nouveau à proximité du ri d’Alzasca. Ici, il a la place de s’étaler, les rives n’étant pas trop escarpées.

Un peu plus bas, il se transforme en toboggan et commence à s’enfoncer dans une gorge.

Le sentier suit maintenant de très près le ri. Par endroit, le paysage nous rappelle des sections du sentier des gorges de l’Areuse.

Des murs bordant le sentier et du soleil filtrant entre les troncs annoncent l’arrivée d’une clairière.

Il s’agit en fait d’un ancien alpage, Al Paindalèir, sur lequel restent encore debout quelques maisons.

L’ancien sentier, bordé de deux murs, est envahi par les herbes folles et le sentier actuel s’en éloigne nous faisant marcher dans le pré. Quel dommage.

Sorti de la clairière, le sentier retrouve la forêt et nous, nous retrouvons des marches. Ça descend sec, en zigzags serrés.

Nos jambes ont renoncé à râler. Nos genoux ont abandonné l’idée de grogner. Nous les avons matés. Néanmoins nous restons prudents, évaluant chaque endroit où poser le pied, allégeant la charge en en déportant une partie sur les bâtons.

Certaines sections du sentier ont vu des jours meilleurs.

Un pont ! Nous avons rejoint le ri d’Alzasca. Enfin, techniquement, ce n’est pas tout à fait exact. Le ri passe bien sous le pont, mais très très loin, tout au fond. On le voit à peine. En revanche, nous entendons bien le bruit de l’eau, se frayant un passage entre les rochers.

C’est sur la pointe des pieds que Stefano la traverse, et je suis certaine qu’il a eu une pensée pour sa sœur, elle aussi, détestant les traversées de pont.

Nous consultons la carte. Elle montre une longue ligne droite, à flanc de montagne, à environ 800 mètres d’altitude. Ce qui va nous permettre de souffler un peu et de nous préparer ainsi, au moment où nous rejoindrons nos traces de ce matin, juste avant la dernière descente. Celle-là même qui, dans l’autre sens, fût notre première montée. Avec, au milieu, un autre pont, que Stefano n’est pas pressé de retrouver.

La ligne droite n’est pas aussi reposante de ce que nous avions imaginé. D’abord parce qu’elle n’est pas plane, mais plutôt constituée de bosses. Et qui dit bosses, dit marches. En voici un bel exemple.

Celui-ci n’est pas mal non plus.

Et ensuite, et surtout, car elle surplombe d’une centaine de mètres la gorge dans laquelle roulent furieusement les eaux du ri d’Alzasca. Je vois les mains de Stefano se fermer et s’ouvrir, presque spasmodiquement. Car, par endroit, entre nous et le fond, cent mètres plus bas, il n’y a rien, qu’un petit sentier étroit d’une quarantaine de centimètre. Stefano reste incroyablement stoïque, marchant d’un pas régulier, silencieux.

Environ un kilomètre après le pont, le sentier s’éloigne de la gorge.

Il s’élargit même.

Stefano entonne une chanson. Le moment un peu critique est passé.

Il est 18h23 lorsque nous arrivons à la jonction avec le sentier de ce matin. Stefano me regarde en rigolant et me prédit une arrivée à la voiture à 20h00. J’éclate de rire et le félicite. Voilà qui s’appelle profiter du dernier jour jusqu’à la dernière minute. Joli timing et belle optimisation.

Que dire de plus que ce matin. Que nous sommes en admiration devant le travail titanesque fourni par les habitants de ces vallées. Nous n’avons qu’une charge légère sur le dos, sommes bien nourris, bien chaussés et nous marchons ici pour le plaisir. Et malgré cela, l’effort est rude. Nous n’osons penser à ces gens, il y a deux siècles, sabots de bois au pied, hottes d’osier sur le dos, montant des vivres, descendant du fromage ou du fourrage, poussant les vaches, vivant dans des conditions extrêmes. Nous nous sentons à la fois petits et privilégiés.

Le dernier pont.

Les chants ne s’interrompent même pas. Stefano est totalement relax, même au passage où ce matin, il a serré le popotin, comme il dit.

19h30.

Des coups de sifflets diffus. Des injonctions. Le bruit sourd d’un ballon frappé. Un entrainement bas son plein sur le terrain de foot près duquel nous avons laissé la voiture. Stefano avait parfaitement estimé l’heure d’arrivée. Nous enlevons nos chaussures en regardant les joueurs jongler avec le ballon, zigzaguer rapidement entre des cônes, rigolant devant l’excitation de l’entraîneur.

Nous rentrons à Cevio heureux. Les vacances se terminent et nous nous réjouissons de nous reposer au bureau, dès lundi. Mais avant cela, nous allons passer deux jours à Lugano, afin de fêter dignement l’anniversaire de Stefano en famille. Tous ses frères et sœur seront là. La liste des courses circule depuis quelques jours sur les réseaux sociaux. Nous n’allons pas mourir de faim.

Itinéraire du jour

C’est ici et c’est chez Suisse Mobile.

Synthèse de nos vacances

Une fois n’est pas coutume. Voici un résumé chiffré de nos 13 jours de randonnées au Tessin :

  • 226 km de marche,
  • 19’734 mètres de dénivelé positif,
  • 20’380 mètres de dénivelé négatif,
  • Zéro blessure (c’était ma crainte), à part une petite égratignure le second jour.

Faune du jour

Brunette, la biquette, gardienne de la pièce servant au recyclage.

Cadichon et Bourriquet.

Flore du jour

Impatiente Bicolore - Impatiens Balfourii
Impatiente Bicolore – Impatiens Balfourii
Impatiente Bicolore - Impatiens Balfourii
Impatiente Bicolore – Impatiens Balfourii
Aconit Napel - Aconitum Napellus
Aconit Napel – Aconitum Napellus
Aconit Napel - Aconitum Napellus
Aconit Napel – Aconitum Napellus
Buddléia de David - Buddleja Davidii
Buddléia de David – Buddleja Davidii

Autoportraits du jour

Au Lago d’Alzasca. Cet autoportrait était censé être raté. Mais tout compte fait, un <Shift-U> sur IrfanView le rend… publiable.

Au Lago d’Alzasca. Second essai.

Au retour, lors de la traversée du fleuve Maggia. Vous avez devant vous deux randonneurs heureux mais rompus.

A Cevio. Nous fêtons la fin de nos vacances ou plutôt nos merveilleuses vacances devant un verre de Primitivo.

Références externes

En italien

En français

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À propos de Marie-Catherine

Randonneuse, blogueuse et photographe amateur chez Two Swiss Hikers.

En phase de préparation de voyage, je m'occupe du choix voire de l'achat du matos et organise les bagages. Ma principale activité consiste à me réjouir des vacances qui arrivent ! Je deviens plus active au retour : il faut trier les photos (et des photos, il y en a...) et rédiger les billets de ce blog.

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