28 septembre 2025 ! Depuis quelques jours, nous observons les montagnes se blanchir. D’abord une poudre légère, un voile fin de sucre glace, qui disparaît au cours de la journée pour réapparaître le matin suivant. Puis, plus tenace, la blancheur persiste et, à la manière dont quelques rochers en émergent, il est clair qu’elle s’accumule.
Grosse surprise au lever, ce matin. Du petit déjeuner nous ne gardons aucun souvenir gustatif. Par contre, nos têtes virevoltent pour admirer, sur fond de ciel bleu azur, les sommets enneigés du val Bedretto, positionnés en face de Stefano et dans mon dos, le pizzo di Mezzodì, sur ma droite, en prolongement du sasso della Boggia. Puis, plus loin, en vis-à-vis, les aiguilles ciselées du versant sud de la Leventina.
En buvant le café qui clôture le petit-dejeuner, nous devisons sur les destinations possibles de la balade du jour. La neige, aussi belle soit elle, limite le choix, si nous voulons éviter des glissades et des pieds humides. L’option qui nous semble la meilleure est de se garer près de la galleria dei Banchi et de suivre la route en direction de la capanna Piansecco. Nous pourrons ainsi profiter du soleil et de la magnifique vue sur le val Bedretto tout en ayant un bel avant goût de l’hiver qui vient d’entrebailler sa porte.
La route du col du Saint Gothard vient juste d’être réouverte. Les chasses neiges ont laissé des murets de neige accumulée sur les bords de la chaussée. Après les premiers virages, nous comprenons que nous avons sous-estimé la quantité de neige tombée. La route qui mène au départ de la strada dei Banchi, recouverte de 20 cm de neige, est impraticable, d’autant que la voiture n’a que les pneus d’été. N’ayant envisagé aucune autre option, nous passons donc au plan Z et continuons jusqu’au col.
La voie qui contourne le lago della Piazza n’a été dégagée que de moitié. Deux voitures ne peuvent se croiser et faute de pouvoir aller ailleurs, prisonnier du flot des voitures, nous nous retrouvons sur le parking de l’entrée de la forteresse sasso San Gottardo, où deux campers type Unimog, seuls il y a 10 minutes, se trouvent noyés dans un chaos de voitures. Le parking est un cul-de-sac. Quelqu’un prend les choses en main et organise alors un semblant de circulation, empêchant d’autres véhicules d’arriver en sens inverse, permettant ainsi à ceux garés involontairement ici – comme nous – de sortir. Comme nous sommes parmi les premiers, nous serons les derniers à sortir. J’en profite pour échanger quelques mots avec les camping caristes qui viennent de passer deux jours complètement isolés, deux jours dont ils se rappelleront longtemps. Sans parler de cette nuit, où le ciel était dégagé, sans autre lumière que les étoiles et sans âme qui vive à moins de 30 km. L’ambiance est bon enfant. Tandis que les uns aident les plus timorés à la manœuvre de demi tour dans un espace restreint et sur surface glissante, d’autres poussent les véhicules qui patinent. Enfin sortis du traquenard, nous cherchons un long moment un emplacement où pouvoir laisser la voiture pour quelques heures.
Des voitures s’arrêtent, puis repartent après que conducteurs et passagers aient pris la pose et gaspillés quelques millions de pixels. D’autres ne font que ralentir, puis, fenêtres ouvertes, font de même. De haillons arrière béants, nous voyons des lève-tôt, sourires béats scotchés sur leurs lèvres, les yeux encore pleins d’étoiles, ranger leurs skis de randonnées et leurs chaussures. C’est une de ces journées qui rassemble des étrangers par le simple partage de la beauté éblouissante environnante et des sensations d’émerveillement éprouvées.
La première idée de notre plan Z est d’aller marcher le long du lago di Lucendro. Nous restons sur l’asphalte et nous dirigeons vers la route qui permet d’y accéder. Et là, grosse déception. Il n’y a point de traces et après 3 ou 4 pas dans 30 cm de neige fraîche, nous rebroussons chemin.
Nous revenons en direction de la voiture, devisant sur les options résiduelles. Il nous semble avoir aperçu, alors que nous passions près des foodtrucks, au bord du lago della Piazza, une trace laissée par un véhicule sur la route partant vers le lago della Sella. Près de la place, la foule de badauds est dense. Les pelles à neige, extraites à la hâte des remises ou des garages, s’activent à déblayer les terrasses et les tables en bois recouvertes de 30 à 35 cm de neige où s’installeront bientôt les clients en quête de mets riches et savoureux afin de se réchauffer et de faire de cette journée une expérience inoubliable. Car le bonheur passe aussi par les papilles.
Effectivement, deux ornières parallèles balafrent la route en direction du lago della Sella. Nous nous y engageons, choisissant chacun son ornière.
Il n’en fallait pas plus pour que le bonheur soit complet. Nous regardons autour de nous, émerveillés. Jamais, au grand jamais, nous n’avions imaginé une telle quantité de neige. D’ailleurs nous regrettons de ne pas avoir pris les raquettes, avec lesquelles nous aurions eu une liberté totale dans le choix de l’itinéraire.
Lorsque le relief nous abrite du petit vent frisquet qui parfois se manifeste, la chaleur du soleil est intense. Déjà, sur le flanc sud des versants, de mini avalanches dégringolent. Aux endroits où l’astre solaire darde ses rayons verticalement, la neige s’est transformée, a fondu, et n’est plus qu’une masse acqueuse, qui devient translucide lorsque nos chaussures l’écrasent.
Alors que la route se divise, une partie continuant vers le barrage, l’autre vers l’alpe di Sorescia, les traces continuent en direction du barrage.
Au pied du barrage, nous obliquons vers la droite, suivant fidèlement les sillons creusés dans la neige. Ils sont maintenant plus larges, et nous y distinguons deux profils bien différents, celui d’une voiture et celui d’une jeep ou d’un tracteur. D’ailleurs, un bruit de moteur nous fait relever la tête. Une Subaru, venant vers nous, est en train de négocier un virage.
Toute trace disparait à une dizaine de mètres du couronnement du barrage.
Seules demeurent des empreintes de pas.
Nous traversons le barrage, en quête d’un emplacement propice au pique-nique. A mi-parcours, nous croisons deux suisses-allemands, raquettes aux pieds. Je les regarde avec une pointe de jalousie. A eux la liberté.
De l’autre côté, le seul banc est occupé par un couple francophone, qui déballe pain et jambon sur leurs genoux.
Nous déjeunons donc debout, face au lac, face au sentier qui monte vers le Giübin où nous observons avec stupeur et effroi s’aventurer les deux randonneurs en raquettes. Leur vitesse de progression est extrêmement lente, témoignant de la difficulté du terrain. La couche de neige n’est absolument pas adéquate pour entreprendre une telle ascension, d’autant que le sentier est raide et parfois exposé.
Nous aurions bien aimé prolonger la balade en suivant la piste qui mène à la cascina di Val Torta mais après avoir parcouru une dizaine de mètres, nous abandonnons. Devoir mettre les pieds à l’exact endroit où la personne qui nous a précédés les a mis n’est pas drôle du tout, surtout si la différence de taille est notable.
La mort dans l’âme, nous nous préparons donc à revenir vers la voiture. Afin de faire un semblant de boucle, nous restons du côté ouest du barrage pour rejoindre la route. Aucune voiture n’est passée et la marche est ardue.
Oui, nous n’avons pas pensé aux raquettes mais heureusement, nous avons nos bâtons !
Ooops, elle ou lui devra attendre quelques jours avant de pouvoir rejoindre le col !
Entretemps, un véhicule s’est aventuré sur la route qui part vers l’alpe di Sorescia. Nous n’hésitons pas une seconde à prolonger la balade et partons dans cette direction, chacun dans son ornière, parfois noire de l’asphalte, la neige ayant déjà disparu. En cette fin du mois de septembre, le soleil est encore haut dans le ciel et les rayons frappent sans répis la neige, qui de poudreuse qu’elle était ce matin, devient petit à petit de la belle mélasse de printemps.
L’alpe di Sorescia. Pour nous, c’est une première, nous ne l’avons jamais vue ainsi, toute blanche.
C’est juste après avoir franchi le riale Sorescia que la voiture a fait demi-tour. Nous faisons de même, peu désireux de rentrer les pieds encore plus trempés qu’ils ne le sont maintenant.
Par moment, la chaleur devient accablante. Les pentes les plus raides se sont déja débarassées de leur manteau blanc, soit car la neige a coulé, soit car elle a fondu.
Au col, les badauds sont toujours là. Le lieu a perdu un peu de sa magie car la neige a été piétinée et l’ébahissement des premières heures n’est plus. Au loin, le barrage du lago di Lucendro, là où nous aurions aimé aller, ce matin.
Nous restons encore un long moment à proximité de la voiture, profitant du paysage hivernal. Nous savons que cet hiver, la route sera fermée et les sentiers menant au col exposés aux avalanches. C’est donc un paysage extraordinaire, dans tous les sens du terme, que nous contemplons.
Autoportraits du jour
Au barrage du lago della Sella.
Au même endroit, mais un peu plus détendus !








































