Pour notre balade mensuelle en famille, nous avons choisi d’aller redécouvrir les Gorges de l’Areuse. Les fortes pluies tombées ces derniers jours gonflent le lit de la rivière. Partis de Boudry, du pont des Clées, nous marchons jusqu’à Noiraigue pour revenir par le même chemin.
Depuis mercredi après-midi, il pleut. Il pleut à verse. Une pluie dense et régulière, qui alimente inlassablement les chéneaux qui, de l’horizontale passent à la verticale, déversant l’eau dans les canalisations à grand bruit. Nuit et jour. Jour et nuit. Quelques flaques se sont formées sur la terrasse, faisant dire à Stefano qu’il est temps de penser à acheter des sacs de sable pour prévenir une éventuelle montée des eaux.
Réveillés tôt, nous avons prévu de quitter la maison à 9 heures. A 8 heures, il pleut encore. Mais nous faisons aveuglement confiance au radar des pluies de Météo Suisse qui annonce la fin des précipitations pour le milieu de matinée. D’ailleurs, aveuglement est à prononcer « aveuuuuuuuuuglement » (la bouche quasiment fermée, le menton rentré), car nous allons dans le canton de Neuchâtel et là-bas, ils disent « aveuuuuuugle », « jeuuuuuuuuune » et « fôt » (avec la bouche grande ouverte cette fois) pour foot.
Google maps annonce 1 heure et 3 minutes pour arriver à Boudry. Il nous en faudra un peu plus, la faute aux travaux sur l’autoroute. Et à un demi-tour, merci à Google et au manque de précision de ses directions. Plus que 2 ans et 10 mois à regretter l’erreur de mon garagiste qui m’a assuré que la voiture choisie avait un GPS intégré… Tristesse.
Depuis notre dernière visite ici, au parking du Pont des Clées, le 1er août 2012, rien n’a changé. A part l’horodateur qui demande un minimum de 10 CHF pour laisser la voiture pour la journée. Capitalisme, quand tu nous tiens…
Surplombant le parking, l’Usine du Chanet remplit l’air du bourdonnent léger de ses turbines.
Nous sommes tout de suite dans le vif du sujet. Voilà l’Areuse qui coule, juste derrière le mur où est garée la voiture.
Les premiers pas sur le sentier, pour l’instant encore goudronné, laissent présager une explosion de couleurs. Dommage, le ciel est encore couvert.
Quelques marches qui montent on ne sait où. Avec la combinaison du bois mouillé et des feuilles qui le recouvrent, la glissage est garantie.
Très vite le sentier se rétrécit et les barrières viennent protéger le randonneur d’une chute dans la rivière. Encore que… Au début du mois de septembre dernier, un jeune est tombé et n’a pas survécu.
Les deux premiers ponts ont un tablier de bois. Bois recouvert de feuilles mortes. Cocktail explosif. Nous n’hésitons pas une seconde à attraper les rambardes. Ce qui nous oblige évidemment à nous désinfecter les mains après chaque passage.
Jardin japonais.
En contrebas du pont, la rivière est furieuse.
Lorsque la rivière affleure le sentier, instinctivement, nous nous collons contre la paroi. Et ramassons du même coup quelques belles toiles d’araignée dont les fils nous suivent longtemps.
La nature n’en finit pas de nous émerveiller.
Notre conversation est limitée au minimum. Nous ne pouvons marcher de front et le bruit est assourdissant. Une légère odeur de décomposition végétale flotte. Par endroit, nous avons des réminiscences de notre séjour à Houston et des jours qui suivaient les trois inondations dont nous avons été témoins. Lorsque nous allions nous promener à proximité des zones inondées, cette même odeur flottaient dans l’air, beaucoup plus intense. Avec une légère pointe de soufre.
Fontaine, je ne boirais pas de ton eau, tout simplement parce qu’il n’y en a pas.
Luana reste très zen bien qu’elle n’aime pas le vide sous ses pieds. Le tablier du pont, ici, n’est constitué que d’une grille métallique.
Les poteaux électriques transportent l’électricité générée par les centrales éparpillées le long de la rivière.
Juste à côté de celle-ci, une vieille bâtisse, sans doute la version 1.0.
Et le pont qui y mène, sur lequel passe une conduite d’eau. Comme le pont qui traverse le Colorado, en arrivant à Bright Angel.
Et tout comme The Box, nous traversons la rivière encore une fois, cette fois via un pont construit à l’occasion de l’Expo 2002. Ah, comme il est loin ce temps où nous pouvions rencontrer des gens sans penser à rien…
Le·a baliseur·se de sentier s’est particulièrement appliqué·e. Essai d’écriture inclusive. Pas facile. Mais qui sait, dans quelques années, ce sera la norme et nous le ferons machinalement.
Le lit de la rivière s’élargit et le courant se calme un peu. Le bruit aussi.
Mais le répit est de courte durée.
Un rétrécissement, un décrochement et l’enfer se déchaîne à nouveau.
Nous arrivons à un endroit que nous avions beaucoup aimé lors de notre passage en 2012 : une série de « terrasses » avec, entre chacune d’elle, un décrochement d’environ 1 mètre. En 2012, l’eau coulait gentiment, la surface plane nous permettant de voir le fond de chaque terrasse, recouvert de blocs de béton emboîtés.
Aujourd’hui, changement de décor.
Chaque décrochement est une mini-chute. L’eau n’a pas le temps de se calmer qu’elle arrive déjà à la chute suivante.
Le spectacle est hypnotique.
Pour la première fois depuis que nous sommes partis, le sentier s’éloigne de la rivière.
Il devient route et nous pouvons ainsi marcher de front, commentant le maelstrom traversé.
Un petit canal concentre de l’eau qui vient d’on ne sait où et que se déverse bruyamment dans la rivière.
Nous sommes à Champ du Moulin.
La route redevient sentier et nous voici à nouveau dans les gorges.
Ah, enfin voilà le petit pont de pierre dont je me rappelais.
Le sentier devient raide. Nous montons précautionneusement, posant délicatement les pieds sur les marches taillées dans la pierre. Pierre rendue glissante par l’humidité de ces derniers jours.
Le vacarme est effroyable, amplifié par les parois verticales qui se rejettent l’écho.
Impossible de s’ennuyer. Quelques centaines de mètres plus loin, le calme revient.
Depuis un petit moment, nous sommes à la recherche d’un endroit où nous pourrions nous arrêter pour le pique-nique. Il est presque 14 heures.
Nous trouvons un banc, en contrebas du village Brot-Dessous. Les rayons du soleil rasent la cime des arbres.
En raison de l’heure tardive, nous devons renoncer à l’itinéraire prévu par Stefano. Il était question de monter à la Ferme Robert pour offrir à Luana une belle vue sur le Creux du Van. Ma mine allongée n’y fait rien, à part faire rire. Nous poussons jusqu’à Noiraigue, désert, avant de rebrousser chemin. Exceptionnellement, nous rentrerons par là où nous sommes venus.
Les derniers cent mètres avant d’arriver à Noiraigue se font entre la rivière et la voie ferrée, sur un passage étroit et goudronné. Ce n’est pas très bucolique mais nous apprécions le calme.
Sur le chemin du retour, Stefano sifflote.
Le ciel s’est un peu dégagé. Du coup les couleurs sont encore plus vives.
Ce bâtiment – l’Usine des Moyats – est tout simplement sublime.
A mi-chemin, j’avoue à Stefano que je me sens « saoule ». Ma marche devient mécanique. En y réfléchissant un peu, j’en conclus que c’est le vacarme constant auquel nous sommes soumis depuis bientôt six heures.
Tiens, ces lettres métalliques fixées dans la falaise nous avaient échappées à l’aller. Auguste Dubois.
Secrétaire du comité des Gorges de l’Areuse (1890-1922); de 1916 à 1918, il mène des fouilles systématiques dans la grotte de Cotencher. Il collabore avec Louis Kurz à l’établissement de la carte topographique du Mont-Blanc. Il participe à deux expéditions au Spitzberg (1906, 1910).
Une autre perspective du pont de pierre.
Nous sommes encore sur le sentier, à quelques centaines de mètres de la voiture. A cet endroit, le sentier est étroit et la barrière métallique, constituée de deux barres horizontales, est plus un garde-fou qu’une véritable protection. Des roses blanches, quelques bougies marquent l’endroit où, le jeune est tombé. Triste.
Nous arrivons à la voiture vers 18h15. Stefano avait raison. Nous n’avions clairement pas le temps pour la variante prévue. Ce qui va nous obliger à revenir… Mince alors ! :-D
Autoportraits du jour
Au retour, sur le parking, tout près de la voiture.