Contrairement à hier, la randonnée du jour se fait en mode exploration. Quelques pétroglyphes trouvés sur la falaise nous mettent en appétit. Puis, nous visitons deux alcôves abritant chacune un joli site. La découverte d’une anse de pot vient compléter cette belle journée.
Parce qu’il est rare que nous refassions deux fois les mêmes erreurs, je n’ai pas droit à ma virée champêtre autour de Cortez. Nous allons droit au but. Efficacité à la Suisse. Sur la G road, devant l’entrée de l’allée qui mène à une maison, un panneau jaune attire mon œil. J’y lis : government is the virus. Je n’ai pas le temps de déchiffrer un autre panneau, également jaune, un peu plus bas. Ce soir, en rentrant, je serai très attentive car quelque chose me dit que ça va être rigolo. Consternant, désespérant, mais drôle. Mieux vaut rire de l’idiotie et de la stupidité d’autrui.
A part le ciel un peu plus voilé qu’hier, rien n’a changé. Castle Rock est toujours là et, sur le sol, près d’une pierre, gît un petit tas de sable rouge, celui-là même que nous avons patiemment décollé de nos chaussures hier.
Je demande à Stefano retourner près de Castle Rock. J’ai de la peine à croire qu’il n’y ait pas la moindre trace visible du pueblo. Nous avons beau ouvrir grands nos yeux, nous ne voyons rien de rien… Et pourtant… En 1874, une expédition – Hayden Survey – guidée par John Moss, photographia et décrivit le site. John Moss, qui parlait la langue Hopi, narra une légende qui fut ensuite publiée dans le New York Tribune du 3 novembre 1874. Cette légende décrit comment le peuple qui vivait ici, paisiblement, fut petit à petit chassé de ses terres. Ni par les espagnols ou les européens, mais par les ancêtres des Ute.
Au printemps, lors de la floraison des fleurs des prickly pears, l’endroit doit être magique.
Nous avons deux options pour rejoindre le départ du sentier : une interdite aux chevaux, l’autre aux vélos. Aucune n’est défendue aux piétons. Ouf ! Nous choisissons celle où les vélos peuvent circuler. La trajectoire n’est pas optimale et nous soupçonnons les créateurs du tracé de s’être amusé à l’allonger au maximum, pour le plus grand bonheur de ses usagers. Une bonne partie du parcours se fait sur du slick rock et, tandis que nous marchons, nous nous remémorons quelques sorties à VTT que nous avons faites à Moab ou Grand Junction. Des sensations extraordinaires dont les souvenirs sont encore vibrants, presque 10 ans après.
Par endroit, quelques points blancs dessinés au sol, pour dissiper les doutes et confirmer l’itinéraire.
Après un peu plus de 2 kilomètres, nous arrivons à la jonction où commence le sentier vert. Il suit de façon assez rectiligne le rim ouest d’un canyon. Cheminant du sud vers le nord, nous observons avec attention les parois proches sur notre gauche et celles un peu plus éloignées sur notre droite. Nous repérons très rapidement, sur le rim opposé, une alcôve dans laquelle il nous semble discerner des ruines. Non loin d’un relief qui nous fait penser à la silhouette d’un château fort. Côté gauche, les falaises sont arrondies, n’offrant ni de belles surfaces où les talents artistiques des natives auraient pu s’exprimer, ni belles alcôves propices à la construction d’un pueblo.
Nous sommes à l’entrée d’un canyon plus court que Sand Canyon mais également plus large.
Ce caillou nous fait penser à un dessin animé ou un film d’animation dont nous n’arrivons pas à resituer le contexte. Mais il nous fait rire.
Même si le slick rock s’est fait plus rare, le terrain est varié. Aucune ruine ou aucun dessin ne sont venus nous surprendre avant que nous arrivions au point de retour, au fond du canyon, ravis de cette première partie de randonnée. Après le passage du wash, le sentier reprend, cette fois direction nord vers le sud, sur le côté est du canyon.
Parvenus à la hauteur d’une voûte aperçue à l’aller, nous décidons de faire un écart pour aller la contempler de plus près. Nous suivons le lit de petits cours d’eau asséchés et éphémères, sautant d’une pierre à l’autre lorsque ceux-ci ne vont pas dans la bonne direction, afin d’épargner le microbiotic crust. Nous espérons y découvrir quelques dessins gravés dans la roche. Au moins un, quand même !
Plus qu’une voûte, on dirait l’entrée vers la nef d’une église. En nous approchant, nous réalisons qu’il s’agit d’une arche, puisque la partie supérieure s’est détachée de la falaise.
A cet endroit, la falaise prend un air de cathédrale. En prêtant l’oreille, il me semble entendre résonner les grandes orgues. A moins que ce ne soit le vent…
Le socle de l’ouvrage, envahi par la végétation – juniper, sage brush, sans parler des yuccas aux feuilles bien pointues et des cactus aux harpons acérés – n’est pas très propice à une quelconque construction. Sans parler de l’orientation au soleil qui la place à l’ombre le matin.
Nous restons à proximité de la paroi et partons en exploration.
Dans la mesure où aucune des falaises n’est recouverte de ce beau vernis brun-rouge foncé, nous n’avons pas trop d’espoir.
Nous sommes d’autant plus contents lorsque nous dénichons quelques pétroglyphes, profondément gravés dans la roche. Pour avoir contemplés des dessins similaires, quoique beaucoup plus élaborés, notamment vers Crow Canyon, nous les assimilons à des épis de maïs. Ou peut-être des roseaux. Ou peut-être était-ce le symbole du clan. Qui sait ?
On ne peut pas parler ici de piquetage (pecking) mais plutôt d’abrasion ou d’incision (scratching – carving). Un morceau de pierre dure, taillé en pointe, passé et repassé sur une même ligne. A chaque passage, des grains de sable qui s’égrainent, détachés du rocher par la friction. Patience et huile de coude sont les second et troisième ingrédients.
Sur un rocher, une collection de morceaux de poterie. Que nous nous empressons d’éparpiller dans le sable et dans les buissons environnants.
Guère surprenant car à quelques pas, quelques pierres encore alignées témoignent de l’existence presque oblitérée d’une construction.
Sur la droite, à environ deux mètres au-dessus du sol, des cavités creusées dans la roche, rondes et carrées, nous interpellent. Il est peu probable qu’elles aient été réalisées juste pour de l’esthétique. A quoi pouvaient-elles donc servir ? D’autant que, au fond de la niche circulaire, trois perforations de quelques centimètres de diamètre sont alignées à la verticale.
Une autre « exposition », que nous nous hâtons à nouveau de « ranger ».
Quelques mètres plus loin, un autre pétroglyphes, tout près du sol.
Les lieux étaient fréquentés, c’est certain.
Peut-être que ces amas de rocher recouvrent-ils un monde perdu…
Nous errons aux alentours, à la recherche de quelques bouts de poterie affleurant au sol. Nous en trouvons quelques-uns qui nous permettent de compléter une nouvelle « exposition » à ciel ouvert laissée par nos prédécesseurs. Dont deux beaux morceaux de corrugated et quelques jolis fragments de poteries peintes.
Une fois remis à leur place originelle, nous nous préparons à quitter le site. Lorsque je repère, sous une roche, une petite surface sablonneuse plane d’où émerge une pierre fine dont je ne vois que la tranche. Mon cerveau enregistre la disposition. Je fais un pas, puis deux et reviens en arrière. La courbe est trop parfaite pour être naturelle. Bien que Dame nature sache faire des choses que nous, pauvres êtres à deux pattes, soient bien loin de savoir reproduire. Néanmoins… Je m’approche et regarde de plus près. Délicatement, je passe un doigt autour et caresse la surface qui s’avère être lisse. Je réalise que je suis en présence d’un morceau de poterie. Mais certainement pas d’un objet entier car, d’après la section visible, la niche dans laquelle il se trouve n’est pas suffisamment large. Et d’autre part car après avoir délicatement tâtonné et effleuré le sable alentours, la section se termine et ne se prolonge pas. J’extrais donc précautionneusement les 2 ou 3 cm enfouis dans le sable. A quelques centimètres, un caillou, rond et gris, affleure. Qui s’avère être une anse. Entière. Ce n’est certes pas le plus gros morceau que nous ayons trouvé mais la découverte est de taille et je suis tout émue.
Une photo plus tard, je replace les objets dans leur cachette, efface mes traces de pas avec une branche de juniper tombée au sol. Seul le sable déplacé est encore humide et plus foncé. D’ici une heure ou deux, rien n’indiquera la présence de ces deux « trésors ».
Remis en route, suivant toujours le flanc de la falaise, nous trouvons encore quelques dessins de plantes et des mains gravées. J’ai un faible pour les mains, peintes ou gravées : elles m’attendrissent. Car, pour chaque main représentée, une « vraie » main a été posée afin de servir de chablon (un pochoir en français de France, pour nos amis français).
Puis, encore, un reste de mur.
L’heure tourne. Nous rejoignons le sentier puis arrivons à une jonction qui permet de rejoindre le Sand Canyon trail emprunté hier.
Curieux, nous le suivons un moment, afin de voir ce que nous réserve la vue après un petit promontoire. Rien qui en vaille la peine nous semble t-il. Nous revenons sur nos pas, non sans s’être approchés de l’entrée d’une ancienne mine d’uranium, creusée dans de la roche ocre. Au vu de la longueur réduite du tunnel, les prospecteurs ont vite renoncé, à moins que la galerie ne se soit effondrée. Néanmoins cette prospection se révéla suffisamment prometteuse pour qu’une route y soit construite.
De la route il n’en reste que deux vagues ornières que le sentier officiel met à profit.
Nous sommes à nouveau sur le bord est du canyon et devinons le sentier suivi ce matin. De loin, nous pouvons étudier les falaises que nous avons longées et confirmer qu’elles sont « stériles ».
Par contre, de notre côté, nous repérons deux petites alcôves.
La première, à gauche, abrite une pièce carrée dont le toit est effondré. A droite, quelques restes de mur.
Nous renonçons à aller les voir de plus près car nous avons du plus gros gibier.
Nous nous attendons à voir une flèche indiquant Spur trail, comme hier. Rien. Néanmoins des traces de pas partent, déviant du sentier. Traces qui invitent, bien sûr, à une exploration. Nous perdons les traces sur un bout de slick rock mais avons néanmoins une bonne idée de la direction générale.
Il nous faut néanmoins négocier le passage au ledge inférieur, qui se fait somme toute assez facilement, malgré la neige, en fine couche, qui rend la pierre glissante.
Nous sommes sur un site composé de deux parties. A droite, sous un piton rocheux, un mur de pierre sèche, à la géométrie parfaite. Tellement parfaite qu’il nous fait penser à un décor de parc d’attraction.
A gauche, dans une large alcôve, un long mur rectiligne percé de petites ouvertures et d’une porte. Les petites ouvertures ont été aménagées simplement en omettant une à deux pierres. Elles devaient amener la lumière du jour et permettre à l’air de circuler. La porte, par contre, a été pensée et construite et s’ouvre dans le vide.
Nous nous approchons par le côté, afin de préserver le miden et éviter l’usure de la roche. Le mur s’avère être double. Derrière, une ouverture qui a été consolidée avec du contreplaquée. Nous n’essaierons pas d’entrer ni d’aller plus loin. La maçonnerie est soignée et nous retrouvons le ciment de boue rouge consolidé de petites pierres plates.
Nous rejoignons le fond du canyon et continuons notre progression vers la seconde alcôve. En période hivernale, la végétation n’est pas trop dense et l’avancée est facile.
Le second site se concentre dans une alcôve. Son état est moins préservé que le précédent. Du mur longitudinal protégeant l’ensemble, il ne reste que quelques portions encore debout.
En retrait, plus au fond, deux pièces, l’une à l’extrême gauche et l’autre à l’extrême droite semblent avoir leurs murs plus ou moins intacts. Entre, c’est un peu l’hécatombe, avec des pierres éparpillées au sol, indiquant que d’autres structures étaient là, aujourd’hui écroulées.
Nous nous remettons en route.
Nous voudrions aller voir de plus près les ruines près du « château fort » entraperçues ce matin. Cependant, nous n’arrivons pas à les localiser. Il nous semble reconnaître un profil familier mais l’alcôve à proximité est vide. Avons-nous rêvé ? L’endroit repéré n’est-il pas le bon ? Mystère que nous gardons entier pour notre prochaine visite. Il y a encore des choses à explorer et c’est tant mieux.
Roulant sur la G road en direction de Cortez, je me dévisse le cou, guettant le petit panneau jaune aperçu ce matin. Mes efforts sont récompensés. Le text Government is the virus est complété fort à propos par Freedom is the vaccine. Sans surprise, nous sommes dans le même registre. A quelques mètres, un mat et un drapeau qui flotte au vent sur lequel est écrit : pray to end abortion. Sans commentaire.
Pour fêter nos découvertes et notre belle journée, nous dînons à la Fiesta Mexicana. A 18h30, nous sommes repus et douchés. A 20h30 et des poussières, les feux s’éteignent.
Autoportraits du jour
Près de l’arche cathédrale…
Oui, on le voit, le petit mur…
Ici aussi, d’ailleurs. Doublé.